jeudi 19 mars 2009

"Mon visage est mon dehors : un point d'indifférence par rapport à toutes mes propriétés, par rapport à ce qui est propre et à ce qui est commun, à ce qui est intérieur et à ce qui est extérieur. Dans le visage, j'existe avec toutes mes propriétés (brun, grand, pâle, orgueilleux, émotif...), mais sans qu'aucune d'elles m'identifient ou m'appartiennent essentiellement. Il est le seuil de dé-propriation et de dé-identification de tous les modes et de toutes les qualités, dans lequel ceux-ci deviennent purement communicables. Et, seulement là où je trouve un visage, un dehors m'arrive, je rencontre une extériorité.

Soyez seulement votre visage. Allez vers le seuil. Ne restez pas les sujets de vos propriétés ou de vos facultés, ne restez pas en-dessous d'elles, mais allez avec elles, en elles, au-delà d'elles. Vers le seuil, en extase."
Giorgio Agamben. Moyens sans fin, Notes sur la politique. 1995.







J'ai cherché la version vidéo de cet enregistrement magnifique, mais je ne l'ai pas trouvée. Je voulais voir le visage de l'icône que la graisse et l'hébétude avaient déjà marqué en masque de cire redevenir un visage extasié par son rire dévorant.
C'était en 1969. L'année précédente Elvis était revenu à la scène plus époustouflant que jamais. Tout ce qui allait suivre ne serait qu'un immense triomphe qui allait donner à Elvis et à sa psyché métamorphosée par les médicaments l'occasion de devenir un Surhomme (désormais, il entre sur scène au son d'Ainsi Parlait Zarathoustra de Strauss - ce n'est pas une blague) (aussi : il offre un flingue à Nixon en lui demandant de le nommer agent fédéral spécial au bureau des narcotiques ; aussi : il est immortel ; aussi : il pense devoir sauver le monde ou quelque chose comme ça, mais, parfois, Elvis n'existe pas - ce qui complique l'affaire). Alors, pendant que le Velvet Underground balbutiait une contre-culture qui deviendrait bientôt pop, Elvis, en jumpsuit de lumière, figeait dans son corps monstrueux et adulé une autre Amérique, une Amérique folle et toute-puissante, capable de sauver le monde - et de belle manière - de Saïgon à Kaboul.
Elvis, devenu une icône.
Ou bien, Elvis chrysalide ?
J'aime penser que tout se transforme sans cesse, que rien n'est jamais car tout est mouvement.
Ce n'est pas seulement parce qu'il est aussi devenu bien gros que Daniel Johnston fait indéniablement penser à Elvis Presley. Comme lui, il est un consommateur impénitent des drogues de nos pharmacies milliardaires. Comme lui, des voix, des présences, l'attirent vers une position messianique trop grande pour lui, mais idéalement taillée pour leur pays. Aussi, le Captain America, si cher à Johnston, porte un aussi joli costume que ceux d'Elvis. Et puis, ensemble, ils chantent le blues.






Quand je regarde cette vidéo, je pense que Johnston applique à la lettre les exhortations d'Agamben citées plus haut. C'est assez saisissant, presque effrayant.

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