mercredi 9 décembre 2009

lundi 25 mai 2009

mercredi 29 avril 2009

Agamben - Debord



La Société du spectacle, film réalisé par Guy Debord en 1973.
Gloses marginales aux Commentaires sur la Société du spectacle, texte écrit par Gorgio Agamben en postface à l'édition italienne de Commentaires sur la Société du spectacle, 1990



1.Stratège.
Les deux livres de Debord (...) constituent l’analyse la plus lucide et sévère des misères et des servitudes d’une société - celle du spectacle, où nous vivons - qui a étendu aujourd’hui sa domination sur toute la planète. En tant que tels, ces livres, n’ont besoin ni d’éclaircissements ni d’éloges, et encore moins d’une préface. Tout au plus risquerons-nous ici quelque glose marginale, semblable à ces signes que les copistes du Moyen Age traçaient en marge des passages les plus remarquables. Suivant une rigoureuse intention anachorétique, ces livres se sont, en effet, séparés, en trouvant leur lieu propre non pas dans un ailleurs improbable, mais uniquement dans la délimitation cartographique précise de ce qu’ils décrivent. Vanter l’indépendance de leur jugement, la clairvoyance prophétique, la perspicacité classique du style ne servirait à rien. Aucun auteur ne pourrait aujourd’hui trouver consolante la perspective que son oeuvre soit lue dans un siècle (par qui ?) ni aucun lecteur ne pourrait se complaire (de quoi ?) à l’idée d’appartenir au petit nombre de ceux qui l’ont comprise avant les autres. Ceux-ci doivent être utilisés plutôt comme des manuels ou des instruments pour la résistance ou pour l’exode, semblables à ces armes impropres dont le fugitif (selon la belle image de Deleuze) s’empare et qu’il glisse furtivement dans sa ceinture. Ou plutôt, comme l’ceuvre d’un stratège singulier (le titre Commentaires renvoit précisément à une tradition de ce type), dont le champ d’action n’est pas tant celui d’une bataille où il s’agit de ranger des troupes, que la pure puissance de l’intellect. Une phrase de Clausewitz, citée dans la préface de la quatrième édition de la Société du spectacle, exprime parfaitement cette caractéristique : « Dans toute critique stratégique, l’essentiel est de se mettre exactement au point de vue des acteurs. Il est vrai que cela est souvent difficile. La grande majorité des critiques stratégiques disparaîtraient intégralement, ou se réduiraient à de très légères distinction de compréhension, si les écrivains voulaient ou pouvaient se mettre par la pensée dans toutes les circonstances où se trouvaient les acteurs. » En ce sens, non seulement Le Prince, mais aussi L’Ethique de Spinoza est un traité de stratégie : une opération de potentia intellectus, sive de libertate.





2. Fantasmagorie.
Marx se trouvait à Londres lorsque en 1851 la première Exposition universelle fut inaugurée avec grand éclat à Hyde Park. Parmi les différents projets proposés, les organisateurs choisirent celui de Paxton, qui prévoyait un immense palais entièrement de cristal. Dans le catalogue de l’Exposition, Merrifield écrivit que le Palais de Cristal « est sans doute le seul édifice au monde dont l’ambiance est perceptible... à un spectateur situé dans la galerie à l’extrémité orientale ou occidentale... les parties les plus éloignées de l’édifice apparaissent enveloppées d’un halo azur ». Le premier grand triomphe de la marchandise eut lieu, autrement dit, sous le signe, à la fois de la transparence et de la fantasmagorie. Le guide de l’Exposition universelle de Paris de 1867 insiste à son tour sur cette contradiction spectaculaire « il faut au public une conception grandiose qui frappe son imagination... il veut contempler un coup d’oeil féerique et non pas des produits ressemblants et uniformément groupés ».
Il est probable que Marx se soit souvenu de l’impression ressentie à la vue du palais de cristal lorsqu’il rédigea la section du Capital intitulée Le Fétichisme de la marchandise et son secret. Que cette section occupe une position liminale dans l’oeuvre n’est certes pas un hasard. Le dévoilement du « secret » de la marchandise fut la clef qui ouvrit à la pensée le règne enchanté du capital, que celui-ci a toujours tenté d’occulter en l’exposant au grand jour. Sans l’identification de ce centre immatériel, où le produit du travail, en se dédoublant en une valeur d’usage et en une valeur d’échange, se transforme en une « fantasmagorie... qui en même temps tombe et ne tombe pas sous les sens », toutes les recherches ultérieures du Capital n’auraient probablement pas été possibles.
Pourtant, dans les années soixante, l’analyse marxienne du fétichisme de la marchandise était, dans les milieux marxistes, étrangement négligée. En 1969, dans la préface à une réédition populaire du Capital, Louis Althusser invitait encore le lecteur à sauter la première section, dans la mesure où la théorie du fétichisme constituait une trace « flagrante » et « extrêmement dangereuse » de la philosophie hégélienne.
D’autant plus remarquable est le geste avec lequel Debord fonde précisément sur cette « trace flagrante » son analyse de la société du spectacle, autrement dit, de la figure extrême que revêt le capitalisme. Le « devenir image » du capital n’est que la dernière métamorphose de la marchandise, où la valeur d’échange a désormais totalement éclipsé la valeur d’usage et, après avoir falsifié l’entière production sociale, peut accéder désormais à un statut de souveraineté absolue et irresponsable sur l’existence entière. Le Palais de cristal de Hyde Park, où la marchandise exhibait pour la première fois sans voile son mystère, est, en ce sens, une prophétie du spectacle, ou plutôt, le cauchemar où le xix` siècle a rêvé du vingtième. Se réveiller de ce cauchemar est la première tâche que les situationnistes se sont assignée.




3. La Nuit de Walpurgis.
S’il existe, en ce siècle, un écrivain auquel Debord accepterait peut-être d’être comparé, c’est Karl Kraus. Personne n’a su mieux que Kraus, dans sa lutte acharnée contre les journalistes, mettre en lumière les lois cachées c u spectacle, « les faits qui produisent les nouvelles et les nouvelles coupables des faits ». Et si l’on pouvait imaginer quelque chose qui corresponde à la voix hors champ qui dans les films de Debord accompagne l’exposition du désert des décombres du spectacle, rien ne serait plus juste que la voix de Kraus qui, au cours de ces fascinantes lectures publiques décrites par Canetti, met à nu, dans l’opérette d’Offenbach, la secrète et féroce anarchie du capitalisme triomphant.
On connaît la boutade avec laquelle, dans la Troisième Nuit de Walpurgis, Kraus justifie son silence devant l’avènement du nazisme : « Sur Hitler il ne me vient rien à l’esprit. » Ce Witz féroce, où Kraus confesse sans indulgence ses propres limites, marque également l’impuissance de la satire face à l’indescriptible qui devient réalité. Comme poète satirique, il est réellement « l’un des derniers épigones / qui habitent l’antique maison du langage ». Certes, pour Debord comme pour Kraus, la langue se présente comme l’image et le lieu de la justice. Toutefois, l’analogie s’arrête ici. Le discours de Debord commence précisément là où la satire se tait. L’antique maison du langage (et avec elle, la tradition littéraire sur laquelle la satire se fonde) est désormais falsifiée et manipulée de fond en comble. Kraus réagit à cette situation en faisant de la langue le lieu du jugement Dernier. Debord, au contraire, commence à parler lorsque le jugement Dernier a déjà eu lieu et que le vrai n’a été reconnu que comme un moment du faux. Le jugement Dernier dans la langue et la nuit de Walpurgis du spectacle coïncident totalement. Cette coïncidence paradoxale est le lieu d’où sa voix résonne perpétuellement hors champ.





4. Situation.
Qu’est-ce qu’une situation construite ? « Un moment de la vie, concrètement et délibérément construit par l’organisation collective d’une ambiance unitaire et d’un jeu d’événements » annonce une définition du premier numéro de l’Internationale situationniste. Rien, cependant, ne serait plus illusoire que de penser la situation comme un moment privilégié ou exceptionnel au sens esthétique. Celle-ci n’est ni le devenir art de la vie ni le devenir vie de l’art. La nature réelle de la situation ne peut être comprise que si elle est historiquement située dans le lieu qui lui est imparti, c’est-à-dire après la fin et l’auto-destruction de l’art et après le passage de la vie à travers l’épreuve du nihilisme. Le « passage au nord-ouest dans la géographie de la vraie vie » est un point d’indifférence entre la vie et l’art, où toutes deux subissent en même temps une métamorphose décisive. Ce point d’indifférence est une politique finalement à la hauteur de ses objectifs. Au capitalisme, qui organise « concrètement et délibérément » des milieux et des événements pour diminuer la puissance de la vie, les situationnistes répondent par un projet tout aussi concret, mais de signe opposé. Leur utopie est, encore une fois, parfaitement topique, puisqu’elle se situe dans l’avoir-lieu de ce qu’elle veut renverser.
Rien ne peut sans doute mieux suggérer l’idée d’une situation construite, que la misérable scénographie où Nietzsche situe dans le Gai Savoir, l’Experimentum crucis de sa pensée. Une situation construite est celle de la chambre avec l’araignée qui grimpe sur le mur, au moment où à la question du démon : « veux-tu que cet instant revienne une infinité de fois ? », est donnée la réponse : « oui, je le veux ». Décisif est ici le déplacement messianique qui transforme intégralement le monde, en le laissant presque entièrement intact. Puisque tout ici est resté inchangé, mais a perdu son identité.
La comédie de l’art fournissait aux acteurs des canevas, c’est-à-dire des instructions, pour que ceux-ci construisent des situations, où un geste humain soustrait aux puissances du mythe et du destin pouvait enfin s’avérer possible. On ne comprend rien au masque comique, tant qu’on le comprend comme un personnage diminué et indéterminé. Arlequin ou le Docteur ne sont pas des personnages, au sens où Hamlet et OEdipe peuvent l’être : les masques sont non des personnages, mais des gestes représentés selon un type, une constellation de gestes. Dans la situation en acte, la destruction de l’identité du rôle va de pair avec la destruction de l’identité de l’acteur. C’est le rapport même entre le texte et l’exécution, entre la puissance et l’acte qui est remis ici en cause. Car entre le texte et son exécution s’insinue le masque, comme mélange indifférencié de puissance et d’acte. Et ce qui a lieu - sur la scène, comme dans la situation construite - ce n’est pas l’actualisation d’une puissance, mais la libération d’une puissance ultérieure. Geste est le nom de cette croisée où se rencontrent la vie et l’art, l’acte et la puissance, le général et le particulier, le texte et l’exécution. Fragment de vie soustrait au contexte de la biographie individuelle et fragment d’art soustrait au contexte de la neutralité de l’esthétique : pure praxis. Ni valeur d’usage ni valeur d’échange, ni expérience biographique, ni événement impersonnel, le geste est l’envers de la marchandise, qui laisse précipiter dans la situation les « cristaux de cette substance sociale commune ».





5. Auschwitz /Timisoara.
L’aspect sans doute le plus inquiétant de : livres de Debord tient à l’acharnement avec lequel l’histoire semble s’être appliquée à confirmer ses analyses. Non seulement, vingt ans après La Société du spectacle, les Commentaires (1988) ont pu enregistrer dans tous les domaines l’exactitude des diagnostics et des prévisions, mais entre-temps, le cours des événements s’est accéléré partout si uniformément dans la même direction, qu’à deux ans à peine de la sortie du livre, il semble que la politique mondiale ne soit plus aujourd’hui qu’une mise en scène parodique du scénario que celui-ci contenait. L’unification substantielle du spectacle concentré (les démocraties populaires de l’Est) et du spectacle diffus (les démocraties occidentales) dans le spectacle intégré, qui constitue une des thèses centrales des Commentaires, que bon nombre ont trouvé à l’époque paradoxale, s’avère à présent d’une évidence triviale. Les murs inébranlables et les fers qui divisent les deux mondes furent brisés en quelques jours. Afin que le spectacle intégré puisse se réaliser pleinement également dans leur pays, les gouvernements de l’Est ont abandonné le parti léniniste, tout comme ceux de l’Ouest avaient renoncé depuis longtemps à l’équilibre des pouvoirs et à la liberté réelle de pensée et de communication, au nom de la machine électorale majoritaire et du contrôle médiatique de l’opinion (qui s’étaient tous deux développés dans les Etats totalitaires modernes).
Timisoara représente le point extrême de ce procès, qui mérite de donner son nom au nouveau cours de la politique mondiale. Une police secrète, qui avait conspiré contre soi-même pour renverser le vieux régime à spectacle concentré, et une télévision, qui mettait à nu sans fausse pudeur la fonction politique réelle des médias, ont réussi à accomplir ce que même le nazisme n’avait osé imaginer - faire coïncider en un seul événement monstrueux Auschwitz et l’incendie du Reichstag. Pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, des cadavres à peine enterrés ou alignés sur les tables des morgues, ont été exhumés en vitesse et torturés pour simuler devant les caméras le génocide qui devait légitimer le nouveau régime. Ce que le monde entier voyait en direct sur les écrans de télévision comme la vérité vraie, était la non-vérité absolue et bien que la falsification ait paru par moments évidente, elle fut authentifiée cependant comme vraie par le système mondial des médias pour qu’il soit clair que le vrai, désormais, n’était qu’un moment dans le mouvement nécessaire du faux. Ainsi la vérité et le faux devenaient indiscernables et le spectacle se légitimait uniquement à travers le spectacle.
Timisoara est, en ce sens, l’Auschwitz de l’âge du spectacle : et de même qu’il a été dit qu’après Auschwitz, il est impossible d’écrire et de penser comme avant, de même après Timisoara, il ne sera plus possible de regarder un écran de télévision de la même manière.






6. Schechina.
En quel sens, à l’époque du triomphe accompli du spectacle, la pensée peut-elle recueillir aujourd’hui l’héritage de Debord ? Puisqu’il est clair que le spectacle est le langage, le caractère communicatif ou l’être linguistique même de l’homme. Ceci signifie que l’analyse marxienne doit être intégrée au sens où le capitalisme (ou quel que soit le nom que l’on veuille donner au procès qui domine aujourd’hui l’histoire mondiale) ne concernait pas seulement l’expropriation de l’activité productive, mais aussi et surtout l’aliénation du langage même, de la nature linguistique et communicative de l’homme, de ce logos auquel un fragment d’Héraclite identifie le Commun. La forme extrême de cette expropriation du commun est le spectacle, c’est-à-dire la politique où nous vivons. Mais ceci signifie aussi, que, dans le spectacle, c’est notre propre nature linguistique qui s’avance vers nous renversée. C’est pourquoi (précisément parce que c’est la possibilité même d’un lien commun qui est expropriée) la violence du spectacle est si destructrice, mais c’est aussi pourquoi, le spectacle contient encore quelque chose comme une possibilité positive, qu’il s’agit d’utiliser contre lui.
Rien n’évoque mieux cette condition que la faute appelée par les cabalistes « isolement de la Schechina » imputée à Aher, l’un des quatre rabbi qui, selon une célèbre Aggada du Talmud, entrèrent au Pardes (c’est-à-dire dans la connaissance suprême). « Quatre rabbi, dit l’histoire, entrèrent au Paradis : Ben Azzai, Ben Zoma, Aher et rabbi Akiba... Ben Azzai jeta un regard et mourut... Ben Zoma regarda et devint fou... Aher coupa les rameaux. Rabbi Akiba sortit indemne. »
La Schechina est la dernière des dix Sephiroth ou attributs de la divinité, celle qui exprime, en fait, la présence divine même, sa manifestation ou habitation sur terre : sa « parole ». La « coupe des rameaux » de Aher est identifiée par les cabalistes au péché d’Adam, qui, au lieu de contempler la totalité des Sephiroth, préféra contempler la dernière en l’isolant des autres, séparant ainsi l’arbre de la science de celui de la vie. Comme Adam, Aher représente l’humanité, en tant que, en faisant du savoir son propre destin et sa propre puissance spécifique, elle isole la connaissance et la parole, qui ne sont que la forme la plus accomplie de la manifestation de Dieu (la Schechina) des autres Sephiroth où il se révèle. Le risque consiste ici en ce que la parole - c’est-à-dire la non-latence et la révélation de quelque chose - se sépare de ce qu’elle révèle et acquiert une consistance autonome. L’être révélé et manifeste - et, donc, commun et participable - se sépare de la chose révélée et s’interpose entre celle-ci et les hommes. Dans cette condition d’exil, la Schechina perd sa puissance positive et devient maléfique (les cabalistes disent qu’elle « suce le lait du mal »).
C’est en ce sens que l’isolement de la Schechina exprime notre condition épocale. Tandis qu’en effet, dans l’ancien régime, l’aliénation de l’essence communicative de l’homme prenait corps dans un présupposé qui lui servait de fondement, dans la société spectaculaire c’est cette communicativité même, cette essence générique (c’est-à-dire le langage) qui se trouve séparée dans une sphère autonome. Ce qui entrave la communication c’est la communicabilité même, les hommes sont séparés par ce qui les unit. Les journalistes et les médiocrates constituent le nouveau clergé de cette aliénation de la nature linguistique de l’homme.
Dans la société spectaculaire, où l’isolement de la Schechina, atteint, en effet, sa phase extrême, non seulement le langage se constitue en une sphère autonome, mais il ne peut plus rien révéler - ou mieux, il révèle le rien de toutes choses. De Dieu, du monde, du révélé il n’en est rien dans le langage : mais, dans cet extrême dévoilement néantifiant, le langage (la nature linguistique de l’homme) demeure à nouveau caché et séparé et atteint ainsi pour la dernière fois le pouvoir de s’assigner comme le non-dit d’une époque historique ou d’un état : l’âge du spectacle, ou l’Etat du nihilisme accompli. C’est pourquoi, le pouvoir établi sur la supposition d’un fondement vacille aujourd’hui sur toute la planète et les royaumes de la terre s’acheminent les uns après les autres vers le régime démocratico-spectaculaire qui est l’accomplissement de la forme état. Avant même la nécessité économique et le développement technologique, ce qui pousse les nations de la terre vers un unique destin commun c’est l’aliénation de l’être linguistique, le déracinement de chaque peuple de sa demeure vitale dans la langue.
Mais pour cette raison même, l’époque que nous vivons est également celle où pour la première fois il devient possible aux hommes de faire l’expérience de leur propre essence linguistique - non pas de tel ou tel contenu du langage, mais du langage même, non pas de telle ou telle proposition vraie, mais du fait même que l’on parle. La politique contemporaine est cet experimentum linguae dévastant, qui désarticule et vide sur l’ensemble de la planète traditions et croyances, idéologies et religions, identités et communautés.
Seuls ceux qui réussiront à l’accomplir jusqu’au bout, sans laisser que, dans le spectacle, ce qui se révèle reste voilé dans le rien qu’il révèle, mais en amenant au langage le langage même, deviendront les premiers citoyens d’une communauté sans présupposés ni état, où le pouvoir annihilant et déterminant de ce qui est commun sera pacifié et la Schechina cessera de sucer le lait corrompu de sa propre séparation.
Tel rabbi Akiba dans l’aggada du Talmud, ceux-là entreront et sortiront indemnes du paradis du langage.





7. Tienanmen.
Quel est, à la lumière crépusculaire des Commentaires, le scénario que la politique mondiale dessine sous nos yeux ? L’Etat spectaculaire intégré (ou démocratico-spectaculaire) constitue l’étape extrême dans l’évolution de la forme Etat, vers laquelle s’abîment précipitamment monarchies et républiques, tyrannies et démocraties, les régimes racistes autant que progressistes. Ce mouvement global, alors même qu’il semble redonner vie aux identités nationales, tend en réalité à la constitution d’une sorte d’Etat policier supranational, où les normes du droit international sont tacitement abrogées les unes après les autres. Non seulement depuis longtemps aucune guerre n’est plus déclarée (réalisant ainsi la prophétie de Schmitt, selon laquelle toute guerre deviendrait à notre époque une guerre civile), mais même l’invasion ouverte d’un Etat souverain peut être présentée comme l’exécution d’un acte de juridiction intérieur. Les services secrets, habitués depuis toujours à agir sans tenir compte des limites des souverainetés nationales, deviennent, dans un tel contexte, le modèle même de l’organisation et de l’action politique réelle. Pour la première fois dans l’histoire de ce siècle, les deux grandes puissances mondiales sont ainsi dirigées par deux émanations directes des services secrets Bush (ancien chef de la CIA) et Gorbatchov (l’homme d’Andropov) ; et plus ils concentrent le pouvoir en leur main, plus cela est salué, par le nouveau cycle du spectacle, comme une victoire de la démocratie. Malgré les apparences, l’organisation démocratique spectaculaire mondiale qui se dessine ainsi risque d’être, en réalité, la pire tyrannie qu’ait jamais connue l’histoire de l’humanité, par rapport à laquelle toute résistance et opposition deviendront toujours plus difficiles, d’autant que désormais celle-ci aura pour tâche de gérer la survie de l’humanité à un monde habitable pour l’homme.
Il n’est pas sûr toutefois, que la tentative du spectacle de garder le contrôle du procès que celui-ci a contribué à amorcer, soit destinée à réussir. L’Etat spectaculaire reste, malgré tout, un Etat qui se fonde, comme tout Etat (ainsi que Badiou l’a montré), non pas sur le lien social, dont il serait l’expression, mais sur sa déliaison, qu’elle interdit. En dernière instance, l’Etat peut reconnaître n’importe quelle revendication d’identité - (l’histoire des rapports, à notre époque, de l’Etat et du terrorisme en est l’éloquente confirmation) même celle d’une identité étatique en son propre sein ; mais que des singularités forment une communauté sans revendiquer une identité, que des hommes co-appartiennent sans une condition représentable d’appartenance (l’être italien, ouvriers, catholiques, terroristes...) voilà ce que l’Etat ne peut en aucun cas tolérer. Pourtant, c’est le même Etat spectaculaire, en tant qu’il annule et vide de son contenu toute identité réelle et substitue le public et son opinion au peuple et à sa volonté générale, qui engendre massivement en son propre sein des singularités qu’aucune identité sociale ni condition d’appartenance ne caractérisent plus : des singularités vraiment quelconques. Car il est certain que la société du spectacle est également celle où toutes les identités sociales se sont dissoutes, où tout ce qui pendant des siècles a constitué la splendeur et la misère des générations qui se sont succédé sur terre a désormais perdu toute signification. Dans la petite bourgeoisie planétaire, à travers la forme de laquelle le spectacle a réalisé d’une manière parodique le projet marxien d’une société sans classes, les différentes identités qui ont marqué la tragi-comédie de l’histoire universelle sont exposées et recueillies dans une vacuité fantasmagorique. C’est pourquoi, si l’on nous permet d’avancer une prophétie sur la politique qui s’annonce, celle-ci ne sera plus un combat pour la conquête ou le contrôle de l’Etat par les nouveaux ou anciens sujets sociaux, mais une lutte entre l’Etat et le non-Etat (l’humanité), disjonction irrémédiable des singularités quelconques et de l’organisation étatique.
Ceci n’a rien à voir avec la simple revendication du social contre l’Etat, qui fut longtemps la raison commune des mouvements de contestation de notre époque. Les singularités quelconques dans une société spectaculaire ne peuvent former une societas, car ils ne sont en mesure de faire valoir aucune identité dont ils disposeraient, de revendiquer la reconnaissance d’aucun lien social. D’autant plus implacable est le contraste avec un Etat qui annihile tous les contenus réels, mais pour lequel un être radicalement privé de toute identité représentative serait (malgré toutes les déclarations vides sur la sacralité de la vie et sur les droits de l’homme) simplement inexistant.
Telle est la leçon qu’un regard attentif aurait pu tirer des événements de Tienanmen. Ce qui frappe le plus, en effet, dans les manifestations du mois de mai chinois c’est la relative absence de contenus déterminés de revendication (démocratie et liberté sont des notions trop génériques pour constituer un objet réel de conflit, et la seule exigence concrète, la réhabilitation de Hu Yao Bang, a été immédiatement satisfaite). D’autant plus inexplicable paraît la violence de la réaction étatique. Il est probable, toutefois, que la disproportion soit uniquement apparente et que les dirigeants chinois aient agi, de leur point de vue, en toute lucidité. A Tienanmen, l’Etat s’est trouvé confronté à ce qui ne peut être représenté et qui, toutefois se présente comme une communauté et une vie commune (et ceci indépendamment de la conscience que pouvaient en avoir les acteurs de la place Tienanmen). Que ce qui échappe à la représentation existe et forme une communauté sans présupposés ni conditions d’appartenance (comme une multiplicité inconsistante, dans les termes de Cantor), telle est précisément la menace avec laquelle l’Etat n’est aucunement disposé à composer.
La singularité quelconque, qui veut s’approprier de l’appartenance même, de son propre être-dans-le-langage et décline, pour cette raison, toute identité et toute condition d’appartenance, tel est le nouveau protagoniste, ni subjectif ni socialement consistant, de la politique qui vient. Partout où ces singularités manifesteront pacifiquement leur être commun, il y aura un Tienanmen et, un jour ou l’autre, les chars d’assaut apparaîtront.







mardi 7 avril 2009

Death to everyone.



Je lisais un cours de Deleuze sur Pascal, son pari, le choix, où il évoque deux possibilités premières, choisir ou ne pas choisir, sachant qu'il s'agit là d'un choix - que l'on niera s'il l'on choisit de ne pas choisir ("je ne pouvais pas faire autrement, c'était les ordres, l'usine devait tourner etc." disait le collabo).
(Tu peux le lire entièrement ici, c'est assez passionnant.)
Je m'interrogeais à propos du divertissement ; qu'est-il aujourd'hui parvenu comme Dieu à mon coeur ?
Vivrais-je une vie much more fun depuis que je sais que la mort nous attend tous (depuis le début) ? Et en saurais-je rire et chanter, danser avec mes amis ?




Tell me what else can we
Do die do

D'accord.
D'accord, do die do.


mercredi 1 avril 2009






"Paul pose le problème : « Qu’est-ce que la vie messianique ? Qu’allons-nous faire maintenant que nous sommes dans le temps messianique ? Qu’allons-nous faire par rapport à l’État ? » Et là il y a ce double mouvement qui a toujours fait problème, qui me semble très intéressant. Paul dit en même temps : « Reste dans la condition sociale, juridique ou identitaire, dans laquelle tu te trouves. Tu es esclave ? Reste esclave. Tu es médecin ? Reste médecin. Tu es femme, tu es marié ? Reste dans la vocation dans laquelle tu as été appelé. » Mais en même temps, il dit : « Tu es esclave ? Ne t’en soucie pas, mais fais-en usage, profites-en. » C’est-à-dire qu’il n’est pas question que tu changes de statut juridique, ou que tu changes ta vie, mais fais-en usage. Il précise ensuite ce qu’il veut dire par cette image très belle : « comme si non », ou « comme non ». C’est-à-dire : « Tu pleures ? Comme si tu ne pleurais pas. Tu te réjouis ? Comme si tu ne te réjouissais pas. Es-tu marié ? Comme non-marié. As-tu acheté une chose ? Comme non-achetée, etc. » Il y a ce thème du « comme non ». Ce n’est même pas « comme si », c’est « comme non ». Littéralement, c’est : « Pleurant, comme non pleurant ; marié, comme non marié ; esclave, comme non esclave. » C’est très intéressant, parce qu’on dirait qu’il appelle usages des conduites de vie qui, en même temps, ne se heurtent pas frontalement au pouvoir - reste dans ta condition juridique, dans ta vocation sociale - mais les transforment complètement dans cette forme du « comme non ». Il me semble que la notion d’usage, en ce sens, est très intéressante : c’est une pratique dont on ne peut pas assigner le sujet. Tu restes esclave, mais, puisque tu en fais usage, sur le mode du comme non, tu n’es plus esclave."
Giorgio Agamben. Entretien donné à Vacarme, 2000, ici.

mardi 31 mars 2009

"Il semblerait que l'esprit humain soit trop lent pour comprendre l'universel, trop rapide pour comprendre le particulier et ses propres mécanismes profonds. Par définition, l'homme est stupide. Certes, cette définition est de moi : avoir un cerveau à la fois trop rapide et trop lent, c'est être stupide. Mais la réalité de cette stupidité est flagrante dans notre entourage et en nous-mêmes. George Brecht, chimiste de formation, me fit un jour remarquer : "Chacun d'entre nous, consciamment ou inconsciamment, est son propre chimiste et s'efforce d'augmenter ou de réduire la vitesse de son cerveau." L'alcool, l'amour, les religions, les drogues, la propriété sont des formes bien connues de cette chimie personnelle. L'art est une forme de chimie personnelle élaborée au moyen de l'organisation des loisirs."
Franck Scurti. Conditions de l'artiste à l'ère du McWorld, in Trouble, 2002.

jeudi 19 mars 2009

"Mon visage est mon dehors : un point d'indifférence par rapport à toutes mes propriétés, par rapport à ce qui est propre et à ce qui est commun, à ce qui est intérieur et à ce qui est extérieur. Dans le visage, j'existe avec toutes mes propriétés (brun, grand, pâle, orgueilleux, émotif...), mais sans qu'aucune d'elles m'identifient ou m'appartiennent essentiellement. Il est le seuil de dé-propriation et de dé-identification de tous les modes et de toutes les qualités, dans lequel ceux-ci deviennent purement communicables. Et, seulement là où je trouve un visage, un dehors m'arrive, je rencontre une extériorité.

Soyez seulement votre visage. Allez vers le seuil. Ne restez pas les sujets de vos propriétés ou de vos facultés, ne restez pas en-dessous d'elles, mais allez avec elles, en elles, au-delà d'elles. Vers le seuil, en extase."
Giorgio Agamben. Moyens sans fin, Notes sur la politique. 1995.







J'ai cherché la version vidéo de cet enregistrement magnifique, mais je ne l'ai pas trouvée. Je voulais voir le visage de l'icône que la graisse et l'hébétude avaient déjà marqué en masque de cire redevenir un visage extasié par son rire dévorant.
C'était en 1969. L'année précédente Elvis était revenu à la scène plus époustouflant que jamais. Tout ce qui allait suivre ne serait qu'un immense triomphe qui allait donner à Elvis et à sa psyché métamorphosée par les médicaments l'occasion de devenir un Surhomme (désormais, il entre sur scène au son d'Ainsi Parlait Zarathoustra de Strauss - ce n'est pas une blague) (aussi : il offre un flingue à Nixon en lui demandant de le nommer agent fédéral spécial au bureau des narcotiques ; aussi : il est immortel ; aussi : il pense devoir sauver le monde ou quelque chose comme ça, mais, parfois, Elvis n'existe pas - ce qui complique l'affaire). Alors, pendant que le Velvet Underground balbutiait une contre-culture qui deviendrait bientôt pop, Elvis, en jumpsuit de lumière, figeait dans son corps monstrueux et adulé une autre Amérique, une Amérique folle et toute-puissante, capable de sauver le monde - et de belle manière - de Saïgon à Kaboul.
Elvis, devenu une icône.
Ou bien, Elvis chrysalide ?
J'aime penser que tout se transforme sans cesse, que rien n'est jamais car tout est mouvement.
Ce n'est pas seulement parce qu'il est aussi devenu bien gros que Daniel Johnston fait indéniablement penser à Elvis Presley. Comme lui, il est un consommateur impénitent des drogues de nos pharmacies milliardaires. Comme lui, des voix, des présences, l'attirent vers une position messianique trop grande pour lui, mais idéalement taillée pour leur pays. Aussi, le Captain America, si cher à Johnston, porte un aussi joli costume que ceux d'Elvis. Et puis, ensemble, ils chantent le blues.






Quand je regarde cette vidéo, je pense que Johnston applique à la lettre les exhortations d'Agamben citées plus haut. C'est assez saisissant, presque effrayant.

mardi 17 mars 2009


Comme finalement, ce qui compte jamais n'est pas la mort ("la mort ? la mort connais pas" disait W* à-propos), mais bien ce qui m'en sépare et ce qui m'y lie, nous avons pris des médicaments.
Comme nous trouvions que les morts peuplaient sans vergogne le monde des vivants et aimaient à se nourrir là, nous avons pris des médicaments.
Comme aussi nous comprenions les peurs, les paralysies, les rejets - tous déviances infectées par leur propre issue : la peur de mourir - nous avons fait quoi ? nous avons pris des médicaments.
Nous pataugions sans cesse et l'on se noyait parfois : notre devenir-mort crispé.
J'ai écouté de la musique.
Il eût fallu une épée pour se battre, un chemin pour courir, une toile à peindre ; las, nous étions démunis. Toujours : les mains liées dans le dos, les pensées hébétées par tous ces médicaments.

Puis, j'ai été la feuille morte dans le vent, la larme d'une étoile, le repas de mes enfants.


Jeux de vidéos part one.




Que nos amis s'amusent, nous voyons chez eux une connivence avec notre défaite face à la mort - et nous les félicitons, nous rions avec eux. Leur devenir-mort est là pleinement effectif, mais, regardez-les, ils rigolent.
C'est tout le sens de nos chansons et de nos amours et de nos jeux dans les bois. Les masques effrayants sont là, mais ils sont tordus par nos sourires. Nos pitreries sont des baumes et nous vivons ainsi. Nous luttons et gagnons ainsi. Ce ne sont pas des instants sauvés d'une vie maussade vouée à la mort, ce sont des mondes sauvés éternels. Qu'importe si je ne m'en souviens guère après la descente de psychotropes, la porte a été ouverte (comme dirait le poète). J'ai choisi cette vidéo parce qu'elle est un puissant mantra vers ces mondes parallèles et parce qu'elle n'a été (peut-être) étrangement vu qu'une cinquantaine de fois sur Youtube.

Alors, on connaîtra la suite et le devenir-mort qui se fige et transforme ce qu'il touche en zombie avalant des pizzas par centaines. On pourra se plaindre et regretter; nous aurons vu un instant une joie victorieuse de tout temps.

vendredi 13 mars 2009

Et toi, que deviens-tu ?

J'ai rencontré Bertrand Betsch il y a quelques années.
C'était un concert au Nouveau Casino et il m'avait paru entrant sur scène comme un bûcheron immense. Sa voix ensuite s'était élevé au-dessus de ce corps et nous avait fait pleurer.
Une autre fois, nous avons discuté autour d'un thé, chez moi, et enregistré une belle émission de radio. Il y avait aussi mon ami Nicolas Cusnier. Je me rappelle que nous avons parlé de Manset et de Cohen. C'était un moment très serein.
Je l'ai revu un peu plus tard. Il donnait un concert au Point FMR ; il semblait fatigué, quelque chose proche d'un débordement - on eût dit un mauvais dosage de pills. C'était un peu triste et magique : il rappelait encore la vie.
J'adore ce mec et son travail.


jeudi 12 mars 2009

Après j'arrête.

J'arrête. Une soupe de lentilles corail (c'est comme ça qu'on l'écrit ?), puis Dexter à la téloche (va comprendre...).
J'arrête de courir partout, de grimper et redescendre à fond.



Pascal d'Huez, un héros moderne.

mardi 10 mars 2009

Pascal d'Huez, l'ami des champions, convalescent, un brin nostalgique.
Lumineux.

jeudi 5 mars 2009

Garder le silence.

"Les plus grands événements
— ce ne sont pas nos heures les plus bruyantes,
mais nos heures les plus silencieuses.
Ce n’est pas autour des inventeurs de fracas nouveaux,
c’est autour des inventeurs de valeurs nouvelles que gravite le monde :
Il gravite inaudiblement."

F. Nietzsche, 'Des Savants', Ainsi Parlait Zarathoustra.


"Tandis que toutes choses gardaient un profond silence, et que la nuit atteignait, dans sa course, le milieu de sa route, ta Parole toute-puissante, Seigneur, s’élança de son trône royal"

Antienne des vêpres du dimanche dans l'octave de la Nativité.



Profond silence des commencements et des grands événements. En une étonnante complicité, la parole de la liturgie et la parole de Nietzsche s’inscrivent en faux contre l’illusion qui illustre si bien le désarroi de ceux qui habitent « le pays de la civilisation » (cf. Nietzsche). Le bruit est tellement devenu la mesure de ce qui compte à nos yeux que le « profond silence » est devenu pour nous, comme nous le disons si spontanément, « un silence de mort ». Alors qu’il était, pour Nietzsche et pour l’orant de la liturgie, l’espace même de la vie.

mercredi 4 mars 2009

« La musique, ce ne sont pas des notes et des notes, mais c'est LA note... Billie Holiday choisit toujours la Note, la seule qu'il fallait, celle qu'on sait qu'elle va trouver mais qu'on serait incapable de prévoir une seconde avant. Le choix des notes chez Billie appartient au mystère du Goût. Ça ne se discute pas. Ce sont tous les mauvais goûts qui sont dans la nature. Le goût, le bon (pas le bon goût), n'est pas naturel, il est caché, occulte, ésotérique, invisible : il répond aux puissances... »

M.-É. Nabe, L'âme de Billie Holiday.

"Il en va tout autrement du beau. Il serait (tout juste à l'inverse) ridicule que quelqu'un, s'imaginant avoir du goût, songe en faire la preuve en déclarant : cet objet (l'édifice que nous voyons, le vêtement que porte celui-ci, le concert que nous entendons, le poème que l'on soumet à notre appréciation) est beau pour moi. Car il ne doit pas appeler beau, ce qui ne plaît qu'à lui. Beaucoup de choses peuvent avoir pour lui du charme ou de l'agrément; personne ne s'en soucie; toutefois lorsqu'il dit qu'une chose est belle, il attribue aux autres la même satisfaction; il ne juge pas seulement pour lui, mais aussi pour autrui et parle alors de la beauté comme si elle était une propriété des choses. C'est pourquoi il dit : la chose est belle et dans son jugement exprimant sa satisfaction, il exige l'adhésion des autres, loin de compter sur leur adhésion, parce qu'il a constaté maintes fois que leur jugement s'accordait avec le sien. Il les blâme s'ils jugent autrement et leur dénie un goût, qu'ils devraient cependant posséder d'après ses exigences; et ainsi on ne peut dire : "À chacun son goût". Cela reviendrait à dire : le goût n'existe pas, il n'existe pas de jugement esthétique qui pourrait légitimement prétendre à l'assentiment de tous."

Kant, Critique de la faculté de juger, § 7

mardi 3 mars 2009

Crasse crise 3

Chronographe Blancpain Léman Flyback sur Fou Furieux.

Je voudrais parfois ma Rolex d'avant cinquante ans et, d'autres fois, aller à l'opéra. Ma femme passerait une heure dans le dressing, robes et souliers, sautoir, parfum ; je siroterais le vieux vin. J'aimerais parfois, quand mon coeur plein de doutes se demande où nous dormirons quand il fera nuit, j'aimerais alors sûrement être à l'aise.


Otis Baer, mon ami.

lundi 2 mars 2009







Comme chacun sait, mon ami Wilfried est un génie.

Aimer le monde, mais le dire, a dit le poète.

Tu vas donc sur www.rosab.net, à l'entrée J comme Johnston, Daniel et tu lis et tu cries au génie.

jeudi 26 février 2009

krisis 2

"On imagine mal une pièce sans crise. Notre travail de dramaturge consiste à nouer une crise et à la dénouer."
Cocteau.



Sole - Salt on Everything - 2003

lyrics.

mercredi 25 février 2009

C'est la crise (part 1)



Fig. 2 : variation de la biodiversité lors d'une crise biologique

Cette succession s'explique par la capacité des organismes à être pré-adaptés aux variations des conditions du milieu. Il en ressort une caractérisation des organismes en parallèle des trois phases définit (fig. 3) :
- taxon d'extinction : ces taxons ne vont pas survivre car non-adaptés.
Remarque importante : un organisme ne décide pas d'évoluer, c'est le résultat de mutations génétiques ou d'une sélection naturelle qui les favorise (par exemple, des changements environnementaux). L'exemple le plus connu est celui des girafes : si nous avons une espèce de girafe à longs cous et une autre à petits cous, placés dans un milieu en pleine sécheresse qui décime les arbres de petites tailles, les girafes à petits cous ne vont plus pouvoir se nourrir et disparaîtrent petit à petit laissant la place au développement des girafes à long cous.
- taxon holdover : il s'agit d'organismes eurytypiques, c'est-à-dire qui s'adaptent à de faibles variations écologiques. Lorsque la variation est trop forte, ils disparaîtront également.
- taxon progenitor : ces taxons sont pré-adaptés, ils possèdent des caractères prédestinés à la survie. Par exemple, pendant la crise Crétacé-Tertiaire, seuls les petits vertébrés (- de 10 kilos) ont survécus. Cet embranchement sera à l'origine de la radiation, c'est-à-dire l'apparition de nombreuses espèces liées aux niches écologiques libres.
- taxon disaster : ces organismes sont des " opportunistes ". Ils se développent au milieu de l'extinction lorsque le stress écologique est au maximum, puis ils disparaissent quand réapparaît la concurrence.
- survivors : ce sont des survivants pré-adaptés qui participeront à la radiation biologique.
- taxon Lazare : ces organismes semblent s'éteindrent mais en fait, il s'agit d'une migration, ou le taxon est préservé dans un bassin, puis ils réapparaissent.
- taxon Elvis : ces taxons portent ce nom car il existe un grand nombre d'imitateurs d'Elvis. Il s'agit donc de taxons qui se ressemblent morphologiquement.




Source
.

mardi 24 février 2009

Mardi Gras




Michel Tibon-Cornillot, EHESS
ext. Destin du psychonaute occidental, de l'extase biochimique à la transfiguration des corps.


"Le psychonaute comme héros négatif de la modernité.


Par les effets neuropsychiques des stupéfiants, le toxicomane modifie son corps, son esprit et bien sûr sa perception des choses: il recherche et croit trouver cette transfiguration que l’on évoquait plus haut et qui est la fin la plus profonde de l’action scientifique et technique moderne. En ce sens, il présente une image archétypale du destin qui appelle l’homme moderne mais il le fait trop vite, de façon immédiate; non pas à la marge, il est au contraire un éclaireur bien trop avancé dont la témérité épouvante. Cette détestation en un mot est celle que produit en chacun la chronique annoncée de son propre destin et de celui de sa descendance: la transformation du destin biologique classique qui encore le nôtre et que les sciences et les techniques nous convient d’abandonner. Le toxicomane intériorise de façon paradigmatique cet abandon des amarres nous reliant à notre passé biologique et culturel qu’inaugurent en ces temps la génétique et la biochimie moléculaire; et cette figure prophétique est insupportable pour chacun d’entre nous car nous savons bien que nous serons, nous et nos descendants, obligés de naviguer vers ces horizons inquiétants sans avoir eu le moindre choix. Le toxicomane est biochimiquement “branché” sur la modernité; il en présente pourtant une parodie car il ne se transforme pas substantiellement: il modifie seulement ses conditions subjectives d’appréhension du monde et de lui-même et il le fait pendant des périodes limitées. Ses expériences sont en ce sens plus proches des techniques modernes du leurre, télévision, objets et “mondes” virtuels...tout ce qui se met en place devant nos yeux à l’intersection des nouveaux traitements numérisés de l’image, du son et du toucher. Le preneur de psychotrope ne retient de la biochimie que ses effets sur les conditions d’appréhension neuropsychiques du monde et de lui-même et s’il prophétise la vocation démiurgique des sciences et des techniques, il n’en présente, tel Saint Jean Baptiste, que l’à venir; le Christ vient après. Le messie annoncé par le toxicomane et le versant biochimique qui le nourrit, est l’homme substantiellement transfiguré: celui que l’on cherche à modifier, à améliorer par cet autre versant de la biochimie dans ses rapports avec la génétique moléculaire et le génie génétique. Chaque citoyen responsable qui cherche à s’informer sait que cet avenir est désormais possible; comment ne pas hésiter face à cet avenir radieux sur lequel il n’a moins que jamais de prises. Qui ne se méfierait, ne mépriserait ou n’aurait peur de ceux qui adhèrent trop vite et même courent au devant de ces projets. Le corps chimiquement pur du “drogué” profond fait peur parce qu’il annonce le corps transfiguré. Il ne retient de la chimie que ses effets neuropsychiques mais désire ceux qui sont à l’oeuvre dans la biologie moléculaire. Un train cache l’autre: l’inquiétante étrangeté que produit le toxicomane illicite renvoie vers une menace quotidienne, cette adjonction à muter, à purifier, à “eugéniser” qui se manifeste de plus en plus fortement dans les sociétés industrielles. Ainsi se précise notre chemin vers ce reste de l’ivresse de la drogue: du corps chimiquement pur il nous faut passer aux corps transfigurées.



Les corps imaginaires
.

Quelle étonnante convergence, celle qui relie la mise en scène médiatique et institutionnelle du toxicomane «paroxystique» et le travail souterrain accompli par les membres du milieu médico-hospitalier et de l’industrie pharmaceutique afin d’initier des pans entiers de la population aux molécules des psychotropes licites ! Le vrai problème de santé publique n’était pas chez les «drogués», et ceux qui participaient à la diffusion de cette croyance au nom de la santé et de l’ordre, journalistes, médecins, personnels d’encadrement, psychologues, contribuaient bien involontairement à la mise en place de cette curieuse illusion d’optique grâce à laquelle l’attention de tous était attirée par les gesticulations des 100 000 toxicomanes «sauvages» et se détournait de la cohorte des douze millions d’intoxiqués légaux. Chacun voit bien en ce cas combien la maladie, la déviance et plus généralement les marges sociales sont investies de façon imaginaire par les médias, les acteurs de l’Etat et, de proche en proche, par la population. La charge imaginaire qui leste les approches de la toxicomanie en perturbe les contours et fait perdre le bon sens. L’évaluation devient irrationnelle selon les critères mêmes de la médecine moderne; plus grave encore, des comportements paradoxaux apparaissent et mènent ceux qui sont en charge des soins à provoquer la maladie. Mais ces pièges ne sont sans doute pas les plus inquiétants. On a noté la convergence entre la montée en puissance du rôle social donné au toxicomane accablé de tous les maux de la terre et l’entrée à bas bruit de segments (fort importants par le nombre) de la population française dans la consommation régulière de psychotropes légaux. Faut-il y voir plus qu’une coïncidence ? S’agit-il d’une forme complexe de diffusion de nouveaux comportements d’addiction aux psychotropes qui trouverait dans la désignation de boucs émissaires les racines de sa propagation à des milieux toujours plus larges. La perte du bon sens le plus élémentaire qui est apparue dans les milieux professionnels, surtout médicaux, en charge de la prévention contre les conduites addictives se manifesterait donc de deux manières : leur participation active, involontaire bien sûr, à la transmission de l’épidémie, leur aveuglement à propos de la disproportion entre des questions de santé fortement médiatisées et pourtant contrôlables, et la diffusion à grande échelle, mais silencieusement, de comportements ou d’infections hautement toxiques. Mais s’agit-il d’une perte de bon sens ? Comment répondre à cette question sans sombrer dans une volonté interprétative envahissante ? Il n’y a pas de complots, telle est la leçon permanente qu’apprend la sociologie; l’apparition de convergences, d’une certaine logique rassemblant des phénomènes sociaux apparemment très différents, est autrement plus significative quand elle n’est pas rapportée à des volontés explicites. Il n’y a pas eu de volonté explicite ayant pour objectif d’intoxiquer la population française (qui l’est déjà depuis longtemps grâce à l’alcool) mais il y a une logique interne imparable qui rassemble en un même faisceau le mouvement par lequel sont stigmatisés, enfermés et soignés les toxicomanes «sauvages» et grâce auquel sont initiés, introduits, encouragés à la consommation des psychotropes, des millions de Français. Cette convergence est pleine de sens et doit être étudiée pour elle-même : l’organisation des sociétés industrielles contemporaines, des institutions étatiques, des systèmes de santé, ne relève plus des descriptions et analyses faites par Michel Foucault mais de logiques bien différentes dominées par un projet global plusieurs fois signalé au cours de ces quelques développements, celui d’un État-laboratoire qui n’a plus pour tâche essentielle d’organiser de nouveaux systèmes de désignation du monde et des hommes, mais de transformer “objectivement“ le monde, les corps et les esprits dans une sorte de volonté collective de transfiguration."

Disponible intégralement là.




mercredi 18 février 2009


Shubert - Musicalniy moment (fortepiano by Gorovic 1969)
Found at bee mp3 search engine



Je travaille bien sûr à un nouveau roman qui m'amuse tant et tant. Je ne m'ennuie jamais. Je me sauve et me relève sans cesse. Je travaille. Je travaille. Je joue tous les rôles dans la pièce.


Regarde par la fenêtre : ils jouent dans la cour de l'école et sont pressés d'y arriver. Et puis s'arrêtent, essoufflés par la grimace. Et dorment lovés et rêvent

Rêve encore : mon banquier dit à sa femme que ça ne peut plus durer, l'enlace et l'embrasse et la saisit vivement pour tomber avec elle de leur balcon si haut dans le ciel. Je suis la femme et suis terrorisée. La sieste engourdie.

Terreur sur la planète : les hommes se mélangent dans leur sang, attentat dans le métro station Belleville, planète Paris, des millions de passagers – tous les jours.

Tous les jours – je travaille et je joue. Ce sont des airs légers au piano, parfois le triste violon argent fier. Mais tous les jours – tu travailles dans la douleur et la joie et, immense, tu te désespères d'y être toi, pas plus qu'un autre. Mon cœur battant !

« Que le cœur de l'homme est creux et plein d'ordure ! » Pascal.

Rue des Cascades, matin. Les éboueurs passent. Je trouve à leur suite un carnet de tickets de métro. Je suis super content.

Terreur dans le métro en allant au cinéma : le Moi est haïssable, je suis tous les autres. Du sang, des éclats, des débris, l'odeur.

Au-delà –

L'air léger, la fontaine, le clapot de l'océan bleu sur la coque de la caravelle. Amuse-toi ! Facteur, banquier, militaire, tennisman, professeur, médecin, plombier, lycéen, dealer, écrivain, politique, barman, philosophe, scénariste, acteur : amuse-toi… L'air de la guitare, le chant des marins : amuse-toi…. La pianiste, la pianiste, amuse-toi.




"Tel homme passe sa vie sans ennui en jouant tous les jours peu de chose. Donnez-lui tous les matins l'argent qu'il peut gagner chaque jour, à la charge qu'il ne joue point: vous le rendez malheureux. On dira peut-être que c'est qu'il recherche l'amusement du jeu, et non pas le gain. Faites-le donc jouer pour rien, il ne s'y échauffera pas et s'y ennuiera. Ce n'est donc pas l'amusement seul qu'il recherche: un amusement languissant et sans passion l'ennuiera. Il faut qu'il s'y échauffe et qu'il se pipe lui-même, en s'imaginant qu'il serait heureux de gagner ce qu'il ne voudrait pas qu'on lui donnât à condition de ne point jouer, afin qu'il se forme un sujet de passion, et qu'il excite sur cela son désir, sa colère, sa crainte, pour l'objet qu'il s'est formé, comme les enfants qui s'effrayent du visage qu'ils ont barbouillé."
Pascal. Pensées. Ext 139.

mardi 17 février 2009

Trop tard pour la promo, jamais pour le plaisir. So, bring Suzannah home tonight.


Maurice Ravel - Jeux d'eau
Found at bee mp3 search engine





Brouillard.


Un instant de saison, une gouttelette de ce qui fait le monde, et puis oh ! plus rien, une usine vide, des passants figés, un regard qui se baisse lentement vers le sol.

Nous sommes dans le brouillard des matinées faciles et nos idées et nos émois, jadis limpides – floutés, étonnés, subtils.

Où étions-nous alors ? Que regardions-nous ? Vers quelle ombre filante ?

Nous avons cessé de nous comprendre et la véri
té s’est éloignée en souriant faiblement ; j’ai ri à l’unisson, sans très bien savoir ce que je faisais.



Des nouvelles choses.

Les Noces de Cana - Duccio Di Buoninsegna (1260-1319)

Le commandant haussa les épaules, embarrassé.
"Donc... si on montait suffisamment, on finirait par redescendre ?"
"Chut !" le mit en garde Randolph St Cosmo.
"On approcherait de la surface d'une autre planète, qui sait ?" insista Chick.
"Pas exactement. Non. Une autre 'surface', certes, mais terrestre. Souvent, à notre regret, bien trop terrestre. En outre, je répugne à --"
"Ce sont là les mystères de la profession" supposa Chick.
"Vous verrez. Avec le temps bien sûr."

Pynchon. Contre-Jour.




Trust Walk Exercise.



Tout est allé de travers, mais j'ai fini par comprendre.
Comment les archéologues remontent dans le temps ? Comment les astronomes remontent dans le temps. Et pourquoi, plus je découvre de vieilles choses me concernant, plus je suis jeune ?
Il s'agissait d'exhumer les fossiles et nous avons découvert la vieille Lucy toute petite.

J'ai compris que mon ancêtre direct, c'est moi enfant.

Il y a bien une lutte entre l'Ancien et le Nouveau, entre le Vieux et le Jeune, entre le Récent et le Moderne, entre le Contemporain et le Dépassé, entre Aujourd'hui et Hier. Et toutes ces luttes finissent négligées par les littérateurs adorateurs de Nouveau. Les expérimentateurs mentent quand ils inventent de nouvelles formes. Ils mentent ou se trompent quand ils pensent comme des avions grimper dans le ciel, plus haut, et toujours un peu plus haut. Les Antiques ne deviennent pas Modernes comme des sportifs professionnels s'entraînant rudement tout au long de leur carrière ; ils ne meurent pas à 33 ans d'une tendinite au poignet.
Lors, il n'y a pas à se rechercher d'originalité du sujet, pas plus de travail sur la langue (c'est la langue elle qui te travaille chéri) - et tu ne pourras point t'inscrire dans l'histoire littéraire.

Les écrivains qui jouaient à l'avion n'étaient en fait que des enfants s'amusant au château dans le sable et l'Ancien sera toujours un enfant, plein de vie.
La PREUVE :


En revanche, ne négligeons pas ce que j'ai un jour entendu appeler la capacité à divertir.
Musique !



vendredi 13 février 2009

J'apprends le multimédia à toute vitesse.

J'écoute de très belles chansons.

jeudi 12 février 2009

Finalement, je marche bien.



Bienvenue à tous.
Je n'y arrive pas.
Je ne désespère pas.

Autre chose.
Clin d'oeil.

Wilfried*:Loved Ghost
I wake up and I'm fine
With my dreamings still on my mind
But it doesn't take long, you see
For the demons to come and visit me
And i've got my problems
Sometimes love doesn't solve them
And i end each day in a song




WELCOME.